Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/335

Cette page a été validée par deux contributeurs.


SECONDE PARTIE




I


LE RÊVE DE L’ORGUEIL


Loukeria m’a déclaré, il y a un moment, qu’elle ne restera pas chez moi ; qu’elle s’en ira aussitôt après l’enterrement de Madame.

J’ai essayé de prier, mais au lieu de prier j’ai pensé, et toutes mes pensées sont malades. Il est étrange aussi que je ne puisse dormir. Après les grands chagrins, il y a toujours comme une crise de sommeil. On dit aussi que les condamnés à mort dorment d’un sommeil profond leur dernière nuit. C’est presque forcé. La nature le veut. Je me suis jeté sur un divan et… je n’ai pas dormi.....




Pendant les six semaines de la maladie de ma femme, nous l’avons soignée, Loukeria et moi, avec l’aide d’une sœur de l’hôpital. Je n’ai pas épargné l’argent. Je voulais dépenser tout ce qu’il fallait — et plus — pour elle. C’est Schréder que j’ai pris pour médecin, et je lui ai payé 10 roubles par visite.

Lorsqu’elle a commencé à reprendre connaissance, je me suis plus rarement montré dans sa chambre. Pourquoi, d’ailleurs, raconté-je tout cela ? Quand elle a pu se lever, elle s’est assise dans ma chambre, à une table séparée, à une table que je lui ai achetée alors. Nous ne parlions guère, et rien que des événements quotidiens. Ma taciturnité était voulue, mais j’ai vu qu’elle non plus n’avait guère envie de causer. Elle sent encore trop sa