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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

sympathies on s’attire son mépris… Ma caisse de prêts ! eh bien, j’en ai beaucoup souffert, je me suis vu repoussé, mis au rancart à cause d’elle et ne voilà-t-il pas que ma femme, cette gamine de seize ans, a appris (de quels chenapans ?) des détails très désagréables pour moi au sujet de cette maudite caisse de prêts ! Et puis il y avait toute une histoire sur laquelle je me taisais, comme un homme fier que je suis. Je préférais qu’elle la sût de quelqu’un d’autre que de moi. Je n’en ai rien dit jusqu’à hier. Je voulais qu’elle devinât au besoin elle-même quel homme j’étais, qu’elle me plaignît ensuite et m’estimât. Toutefois dès le début, je voulus, en quelque sorte, l’y préparer. Je lui expliquai que c’est très beau la générosité de la jeunesse, mais que cela ne vaut pas un sou. Pourquoi ? Parce que la jeunesse l’a en elle, alors qu’elle n’a pas encore vécu, pas encore souffert. Elle est à bon marché, cette générosité-là ! — Ah ! prenez une action vraiment magnanime qui n’ait rapporté à son auteur que des peines et des calomnies sans un grain de considération ! Voilà ce que j’estime, moi ! Car il y a des cas où un brillant sujet, un homme de haute valeur est présenté au monde entier comme un lâche, alors qu’il est plus honnête qu’être qui soit au monde ! Tentez un exploit pareil. Ah ! parbleu ! Vous vous dérobez ! Eh bien ! moi je n’ai fait, toute ma vie, que porter le poids d’une action mal interprétée… D’abord elle discuta, — comme elle discuta ! Puis elle se tut, mais elle ouvrait des yeux, — des yeux immenses ! Et… subitement je lui ai vu un sourire méfiant, presque mauvais… C’est avec ce sourire-là que je l’introduisis chez moi… Il est vrai qu’elle n’avait plus où aller !…

IV


TOUJOURS DES PROJETS ET DES PROJETS.


Qui de nous deux commença ? Je n’en sais rien. Cela fut sans doute en germe dès le début : elle n’était encore