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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN


Elle me regarda d’un air pénétré. Elle était contente de ce qu’elle venait de dire, non par vanité, mais parce qu’elle respectait la pensée qu’elle venait d’exprimer. Ô sincérité des jeunes ! C’est avec cela qu’ils remportent la victoire !

Quand elle fut partie, j’allai compléter mes renseignements. Ah ! elle avait vu des jours si terribles que je ne comprends pas comment elle pouvait sourire et s’intéresser aux paroles de Méphistophélès ! Mais voilà, la jeunesse… L’essentiel c’est que je la regardais déjà comme mienne et ne doutais pas de mon pouvoir sur elle… Vous savez, c’est un sentiment très doux, très voluptueux, dirais-je presque, qu’on éprouve en s’apercevant qu’on en a fini avec les hésitations…

Mais si je vais comme cela, je ne pourrai plus concentrer mes idées… Plus vite, plus vite, ce n’est pas de cela qu’il s’agit, ah ! mon Dieu ! non !

II


PROPOSITIONS DE MARIAGE


Voici ce que j’avais appris sur elle : Son père et sa mère étaient morts depuis trois ans et elle avait demeuré chez des tantes d’un caractère impossible. Méchantes toutes deux d’abord. L’une affligée de six petits enfants, l’autre vieille fille. Son père avait été employé dans les bureaux d’un Ministère. Il avait été annobli, mais personnellement, sans pouvoir transmettre sa noblesse à sa descendance. Tout me convenait. Je pouvais même leur apparaître comme ayant fait partie d’un monde supérieur au leur. J’étais un capitaine démissionnaire, gentilhomme de race, indépendant, etc. Quant à ma caisse de prêts sur gages, les tantes ne devaient y penser qu’avec respect.

Il y avait trois ans que ma jeune fille était en esclavage