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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

peu, il finit par comprendre. Toute une série de souvenirs qu’il évoque le conduit à la vérité.

Voilà le thème. Le récit est plein d’interruptions et de répétitions. Mais si un sténographe avait pu écrire à mesure qu’il parlait, le texte serait encore plus fruste, encore moins « arrangé » que celui que je vous présente. J’ai tâché de suivre ce qui m’a paru être l’ordre psychologique. C’est cette supposition d’un sténographe, notant toutes les paroles du malheureux, qui me paraît l’élément fantastique du conte. L’art ne repousse pas ce genre de procédés. Dans ce chef-d’œuvre, le Dernier jour d’un Condamné, Victor Hugo s’est servi d’un moyen analogue. Il n’a pas introduit de sténographe dans son livre, mais il a admis quelque chose plus invraisemblable, en présumant qu’un condamné à mort pouvait trouver le loisir d’écrire de quoi remplir un volume, le dernier jour de sa vie, que dis-je, à la dernière heure, — à la lettre, — au dernier moment. Mais s’il avait rejeté cette supposition, l’œuvre la plus réelle, la plus vécue de toutes celles qu’il a écrites, n’existerait pas.



I


QUI ÉTAIS-JE ET QUI ÉTAIT-ELLE ?


… Tant que je l’ai ici, tout n’est pas fini… Je m’approche d’elle et je la regarde à chaque instant. Mais demain on l’emportera. Comment ferai-je tout seul ? Elle est en cet instant dans le salon, sur la table… on a mis l’une contre l’autre deux tables à jeu ; demain la bière sera là, toute blanche, en gros de Naples… Mais ce n’est pas cela !… Je marche, je marche et je veux comprendre, m’expliquer… Voilà déjà six heures que je cherche, et mes idées s’éparpillent. Je marche, je marche et c’est tout. Voyons, comment est-ce ? Je veux procéder par ordre (ah ! par ordre !…) Messieurs ! Vous voyez