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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN
V


LES MEILLEURS HOMME


Il conviendrait, peut-être, de dire quelques mots de ceux que j’appellerai les « meilleurs hommes ». Je veux parler de ceux sans lesquels aucune société ne pourrait vivre et durer. Ils se partagent, du reste, en deux catégories : devant la première la foule s’incline d’elle-même, heureuse de rendre hommage à des vertus réelles. La seconde catégorie reçoit aussi des marques de respect, mais on dirait que ces manifestations ne se produisent pas sans quelque contrainte. Elle est composée de gens qui ne sont « les meilleurs » qu’en les comparant avec ceux qui ne valent pas grand’chose. Cette dernière catégorie est appréciée surtout à des points de vue hautement administratifs.

Toute société, pour vivre et durer, a besoin d’admirer ou tout au moins d’estimer quelqu’un ou quelque chose.

Comme les « meilleurs hommes » de la première catégorie sont souvent des gens un peu difficiles à comprendre, préoccupés qu’ils sont d’un idéal qui les rend distraits, parfois bizarres, maniaques, et très indifférents au plus ou moins de noblesse de leur extérieur, le public se rabat sur les personnages qui ne sont « les meilleurs » que relativement.

Ces « meilleurs hommes », on les trouvait jadis dans l’entourage des princes ; c’étaient aussi des boyards, des membres du haut clergé, et des marchands notables ; mais ces derniers n’étaient admis qu’en petit nombre au privilège de figurer parmi les « meilleurs hommes ». Ces dignitaires, chez nous, comme en Europe, créaient pour leur usage une sorte de code de la vertu et de l’honneur, peut-être pas toujours très conforme à l’idéal du pays. Par exemple, les « meilleurs hommes » devaient, sans se faire prier, mourir pour la patrie si l’on semblait attendre ce sacrifice de leur part et y allaient bon jeu, bon argent, craignant qu’une reculade ne les déshonorât, eux et leur