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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

heureux… Puisque nous y sommes, laissez-moi vous dire tout mon sentiment sur le bonheur et les devoirs d’une femme russe : à Kreuznach, je n’ai pu achever.


VIII


LES ENFANTS


Mon ami est fort paradoxal, je vous l’ai dit. Cependant ses opinions sur le bonheur et les devoirs de la femme russe ne brillent pas par leur originalité, bien qu’il les expose avec véhémence. Selon lui, pour être heureuse et accomplir tous ses devoirs, la femme russe doit se marier et avoir le plus d’enfants possible, « non pas deux ou trois, mais six, dix, jusqu’à extinction des forces ! »

C’est alors seulement qu’elle connait la vie vraie, dans toutes ses manifestations possibles.

— En ne sortant pas de sa chambre à coucher ?

— Je connais toutes vos objections : Et la culture d’esprit, etc. ? Mais je me demande comment les études peuvent empêcher de se marier et d’avoir des enfants. Et ! mon Dieu ! les études d’abord, ensuite le mariage et les enfants. Et puis rien de plus intelligent que de faire des enfants ! Je sais bien que Tchatzky a dit : « Quel est celui, quelle est celle qui n’a jamais eu assez d’esprit pour faire des enfants ? » Mais Tchatzky n’avait aucune instruction. Il ne sut pas même écrire son testament, il a laissé ses terres à une personne inconnue, « à son amie Sonitchka ». Maintenant, Dieu soit loué ! il y a aujourd’hui nombre d’hommes instruits chez nous, et ils ont des enfants et savent que c’est là l’affaire la plus sérieuse du monde. Malheureusement, aujourd’hui en Europe, je ne dis pas chez nous, mais en Europe, la femme cesse d’enfanter.

— Comment, cesse d’enfanter ?