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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

serais curieux de connaître le chiffre véritable de ses souscriptions. Il paraît que personne n’en sait rien. Quant à l’Autriche, qui, dès le commencement des hostilités, a conçu le dessein de s’emparer de la Bosnie (ce dont on commence à parler dans le monde diplomatique), elle a souscrit avec désintéressement en vue de son intérêt futur, et son offrande n’a été nullement nationale, mais bien officielle. Du reste, elle a souscrit, mais sur le papier ; j’aimerai savoir que l’on recueillera de ce côté.

On quête aussi à Ems pour les « blœdige Kinder », c’est-à-dire les enfants idiots. Il y a ici un hôpital pour eux. Naturellement ce n’est pas Ems qui fournit tous ces petits malheureux ; il serait honteux pour une si petite ville de produire tant d’idiots. On dit que l’établissement est subventionné, mais de façon insuffisante, si bien qu’il faut recourir aux dons particuliers. Un monsieur splendidement décoratif ou une dame opulente recouvrent ici la santé et laissent, est-ce bien par reconnaissance, deux ou trois marks pour de pauvres enfants privés d’intelligence. De temps à autre, très rarement, étincelle sur le livre de souscriptions la somme de dix marks.

Le quêteur me dit pouvoir recueillir jusqu’à 1.500 thalers par saison, « mais auparavant, dit-il, le résultat était meilleur, on donnait plus ». Dans le livre, une souscription m’a sauté aux yeux : cinq pfennigs (un sou). Ce don est précédé d’un nom quelconque. Cela m’a rappelé ce conseiller d’État russe qui avait offert cinq kopeks pour le monument de Lermontov et signé son nom sur la liste.

Depuis mon premier séjour à Ems (il y a deux ans de cela), une circonstance m’a vivement intéressé. Les deux sources les plus en vogue sont la Kraenchen et la Kesselbrunnen. Au-dessus des sources on a construit une maison, et le public est séparé de ses sources par une balustrade. Derrière la balustrade, quelques jeunes filles se trouvent debout, trois près de chaque source. Elles sont aimables, avenantes et gentiment habillées. Vous leur passez votre verre et elles y versent l’eau. Pendant deux heures, chaque matin, des milliers de malades défilent devant la balustrade ; chacun boit deux, trois, quatre verres d’eau, ce qu’on lui a ordonné de prendre. La même