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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

décision à prendre ? Selon moi, cela ne provient pas de notre peu d’intelligence des affaires, mais bien de notre obstinée ignorance de la Russie, de son esprit, de son essence, bien que depuis les démêlés de Biélinsky et des Slavophiles, vingt années se soient écoulées. Pourtant l’étude de la Russie a progressé en ces vingt ans, mais on nous apprend que, dans la même période, le sentiment russe a perdu de sa force. Quelle peut en être la cause ? Mais alors si l’opinion des Slavophiles a semblé triompher à cette époque lointaine rien que par la véhémence de leur sentiment russe, Biélinsky les a bien aidés en leur victoire. Les Slavophiles pourraient donc le considérer comme leur meilleur ami. Je répète qu’il y a eu un grand malentendu entre les deux partis. Ce ne sera donc pas pour rien qu’Apollon Grigoriev aura dit, lui qui avait parfois quelque perspicacité : « Si Bielinsky eût vécu plus longtemps, il eût sûrement adhéré au programme slavophile. » Il y a dans cette phrase une forte idée.


CONCLUSION DE MON PARADOXE


On me dira : Vous voulez donc nous faire croire que chaque Russe qui s’est assimilé aux communards à un point de vue européen, deviendra par cela même un conservateur en Russie ? » Vous allez trop loin : ce serait une exagération que de risquer des conclusions pareilles. Non ! je voulais faire tout simplement observer que même si l’on prenait l’opinion que l’on me prête dans son acception la plus littérale, elle contiendrait encore une parcelle de vérité. J’ai peut-être, inconsciemment, une foi trop grande en un sentiment russe ininterrompu, en la perpétuelle vitalité de l’âme russe. Je veux bien que ce soit une exagération encore, une suite de mon paradoxe ; mais voici la conclusion que je désirais vous soumettre : C’est encore un fait et une conséquence du fait : Nous avons déjà dit