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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN


JUIN


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I


LA MORT DE GEORGE SAND


… Et pourtant, ce n’est qu’après avoir lu la nouvelle de cette mort, que j’ai compris toute la place que ce nom avait tenu dans ma vie mentale, tout l’enthousiasme que l’écrivain-poète avait jadis excité en moi, toutes les jouissances d’art, tout le bonheur intellectuel dont je lui étais redevable. J’écris chacun de ces mots de propos délibéré, parce que tout cela est de la vérité littérale.

George Sand était une de nos contemporaines (quand je dis nos, j’entends bien à nous), une vraie idéaliste des Années trente et quarante. Dans notre siècle puissant, superbe et cependant si malade, épris de l’idéalité la plus nuageuse, travaillé des désirs les plus irréalisables, c’est un de ces noms qui, venus de là-bas, du pays des « miracles saints », ont fait naître chez nous, dans notre Russie toujours « en mal de devenir », tant de pensées, de rêves, de forts, nobles et saints enthousiasmes, tant de vitale activité psychique et de chères convictions ! Et nous n’avons pas à nous en plaindre. En glorifiant, en vénérant de tels noms, les Russes ont servi et servent la logique de leur destinée. Qu’on ne s’étonne pas de mes paroles, surtout au sujet de George Sand, qui jusqu’à présent peut être contestée, qui est, à moitié, sinon presque totalement oubliée chez nous. Elle a fait, en son temps, son œuvre dans notre pays. Qui donc s’associera à ses compatriotes pour dire un mot sur sa tombe, si ce n’est nous, – nous,