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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

MAI


I

L’AFFAIRE KAÏROVA
EXTRAIT D’UNE LETTRE


On me demande si je n’écrirai rien sur l’affaire Kaïrova. J’ai reçu nombre de lettres qui contiennent cette question. L’une d’elles m’a paru fort intéressante. Elle n’était évidemment pas destinée à la publicité, mais je me permettrai d’en citer quelques lignes tout en dissimulant discrètement la personnalité de son auteur. J’espère que mon honorable correspondant ne m’en voudra pas :

« C’est avec un profond sentiment de dégoût que nous avons lu l’affaire de la Kaïrova. Cette affaire nous met en présence des plus bas instincts. La mère de l’héroïne principale s’adonna à la boisson pendant sa grossesse, son père était un ivrogne, son frère a bu au point de perdre la raison ; un de ses cousins a égorgé sa femme ; la mère de son père était folle. Voilà le milieu d’où est issue cette Kaïrova. L’accusateur lui-même se demanda si elle n’était pas folle. Quelques médecins-experts niaient ; d’autres admettaient la possibilité de la démence. Mais ce procès nous révèle surtout, non pas tant une folle qu’une femme arrivée à la limite extrême de la négation de tout ce qui est saint. Pour elle, la famille n’existe pas ; nulle femme, devant elle, n’a les moindres droits sur son propre mari, ne peut même dire que sa vie lui appartient ; l’odieuse lubricité de la Kaïrova doit primer tout.