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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

dans l’avenir, si bien que c’est à eux que doit passer la suprématie, malgré leur faiblesse actuelle et la connaissance que tout le monde a de cette faiblesse. Malheureusement, à côté de ses idées scientifiques, une autre surgit, qui peut se traduire par cette formule trop connue : « Ôte-toi de là que je m’y mette. »

Le premier désir de la masse du peuple, c’est de piller les propriétaires. Mais il ne faut pas trop accuser les pauvres : les hommes de l’oligarchie bourgeoise les ont tenus dans les ténèbres, et à un tel point que ces malheureux ne se gênent pas pour crier qu’ils deviendront riches et que ce sera grâce au pillage. Toute l’idée sociale est là pour eux. Néanmoins, ils vaincront certainement, et si les riches ne cèdent pas, il pourra se passer des choses terribles. Mais personne ne cédera à temps aux yeux des revendicateurs : même si on leur donne tout, ils croiront toujours qu’on les trahit et qu’on les vole.

Les Bonaparte se sont maintenus en leur faisant espérer une entente avec eux ; ils ont même tenté des réformes peu effectives dans ce sens, mais tout cela n’était pas sincère. Les gens de l’oligarchie se méfient du peuple et le peuple ne croit plus en eux. Quant aux monarchistes légitimistes, ils ne peuvent plus offrir à la démocratie qu’un seul remède : le catholicisme, que le peuple ne connaît plus ou ne veut plus connaître. On dit même que parmi les prolétaires les idées spirites se développent extraordinairement, tout au moins à Paris. Si nous parlons des partisans de la branche cadette, des orléanistes, nous verrons que leur régime est devenu odieux à la bourgeoisie elle-même, bien que les d’Orléans aient été longtemps considérés comme les protecteurs naturels des propriétaires français. Leur incapacité est devenue évidente pour tous. — Les propriétaires voulaient pourtant trouver un moyen de salut : leur instinct les a poussés à choisir la République.

Il existe une loi politique et peut-être naturelle qui exige que deux voisins forts et proches, quelque soit leur mutuelle amitié au début, finissent toujours par en venir à un désir d’extermination réciproque. (Nous devrions, nous aussi, les Russes, penser à cette question