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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN
MARS


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I


la centenaire


« J’ai été en retard toute la matinée, me racontait une dame, ces jours-ci. Je n’ai pu mettre le pied dehors que vers midi, et, — c’était comme un fait exprès, — j’avais des masses de choses à faire. Entre deux courses, à la porte d’une maison d’où je sortais, j’ai rencontré une vieille femme qui me parut horriblement âgée ; elle était toute courbée et se soutenait sur un bâton. Cependant je n’avais encore aucune idée de son âge véritable. Elle s’installa sur un banc, près de la porte ; je la vis bien, mais trop peu de temps. Dix minutes après, je sortis d’un bureau situé tout auprès et me dirigeai vers un magasin où j’avais affaire. Je retrouvai ma vieille femme assise à la porte de cette nouvelle maison. Elle me regarda : je lui souris. Je vais faire une autre commission vers la perspective Nevsky. Je revois ma bonne femme assise à la porte d’une troisième maison. Cette fois je m’arrête devant elle, me demandant : Pourquoi s’asseoit-elle ainsi à la porte de toutes les maisons ?

— Tu es fatiguée, ma bonne vieille ? lui dis-je.

— Je me fatigue vite, petite mère. Il fait chaud ; le soleil est fort. Je vais dîner chez mes petits-enfants.

— Alors tu vas dîner, grand’mère ?

— Oui, dîner, ma chère, dîner.

— Mais tu n’arriveras jamais, ainsi.

— Oui, j’arriverai ; je marche un peu, je me repose. Je me relève ; je marche encore un peu, et ainsi de suite.

La bonne femme m’intéresse. Je la regarde. C’est une