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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Et il me caressa la joue.

— Voyons, voyons, calme-toi ; fais le signe de la croix !

Mais je ne pouvais y parvenir, et les coins de ma bouche tremblaient convulsivement, paraît-il, et on m’a dit plus tard que c’était ce qui l’avait le plus frappé.

Il tendit doucement son gros index barbouillé de terre et toucha très légèrement mes lèvres tremblantes :

— Dans quel état se met cet enfant !

Et il sourit d’un sourire comme maternel.

Je compris enfin qu’il n’y avait pas de loup en vue et que j’avais eu une hallucination en croyant entendre crier. J’étais alors sujet à ces erreurs nerveuses de l’ouïe. Cela m’a passé avec l’âge.

— Eh bien, je puis m’en aller alors ? lui dis-je en le regardant interrogativement d’un œil encore humide.

— Oui, va ; je veillerai sur toi comme tu marcheras. Je ne te donnerai pas au loup ! ajouta-t-il ; et j’eus plus que jamais l’impression que son sourire était un sourire de maman. Va ! que le Christ soit avec toi ! Il fit sur moi le signe de la croix et se signa lui-même.

Je partis, en me retournant presque tous les dix pas. Toujours je vis Mareï qui me suivait de l’œil, et chaque fois il me fit un signe de tête amical. J’avoue que j’avais alors un peu honte de ma peur ; toutefois je craignais encore vaguement le loup. Quand j’eus refranchi le ravin, l’épouvante disparut brusquement ; mon chien Voltschok bondit vers moi, venant de je ne sais où, et avec mon chien je me sentais plein de courage. Toutefois je me retournai une dernière fois vers Mareï. Je ne pouvais plus, de si loin, distinguer les traits de son visage, et cependant je devinai qu’il me souriait toujours tendrement. Je le vis hocher la tête. Je lui fis avec la main un signe d’adieu auquel il répondit, et ce n’est qu’alors qu’il repartit avec son vieux cheval.

J’entendis de loin son cri : Hue, hue ! et la rosse tira de nouveau la charrue.

Je me suis souvenu de tout cela, je ne sais pourquoi, revoyant tous les détails avec une netteté admirable ;

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