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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Comment ne pas essayer de se procurer un gain facile, même à l’aide d’un canif !

« Non, par le temps qui court, il ne s’agit pas de protéger les animaux ! Ce sont là fantaisies de riches oisifs. »

Je reproduis une phrase entendue, mais je proteste de toutes mes forces contre une pareille opinion. Je ne suis pas membre de la Société protectrice des animaux, mais je me sens prêt à la servir de tout mon cœur. Je sais par où elle pêche ; je l’ai laissé entendre plus haut, mais je suis profondément dévoué à ses idées, en ce qu’elles ont d’humanitaire par contre-coup.

Je n’admettrai jamais qu’un dixième seulement des hommes puisse essayer d’atteindre à un développement supérieur, tandis que les neuf autres dixièmes lui serviront de marchepied et demeureront plongés dans les ténèbres. Je veux que les 90 millions de Russes deviennent tous, dans un avenir prochain, instruits, vraiment humains et cultivés. Je crois que l’instruction universelle ne peut nuire en aucun pays, et en Russie encore moins qu’ailleurs. J’ai même la ferme conviction qu’en Russie, le règne de la lumière et de la bonté pourra se fonder plus tôt qu’en n’importe quel autre pays. N’est ce pas chez nous que la classe aristocratique, stimulée par la volonté du tzar, a détruit l’institution du servage ?

Et voilà pourquoi j’envoie encore un salut cordial à la Société protectrice des animaux : Je voulais simplement insinuer qu’il serait bon de ne pas toujours commencer par la fin, mais bien quelquefois aussi par le commencement.