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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

cas qui pouvaient se présenter. Il alla même jusqu’à réclamer, — en admettant qu’au bout de dix ans, une majorité radicale sortit des urnes, — le droit pour lui de dissoudre la nouvelle assemblée sans autre forme de procès. Il devait alors continuer à gouverner sans représentants du pays, exercer le pouvoir exécutif sans contrôle et rétablir l’ordre comme il lui plairait. Il fallait vraiment être par trop… militaire, avoir une foi trop superstitieuse dans la force des baïonnettes pour rêver seulement un pareil régime. Et pourtant ce projet d’absurde dictature militaire fut immédiatement agréé par la droite et porté par le vieux général Changarnier devant l’Assemblée Nationale, le jour de la reprise de ses travaux, le 5 novembre.

Après le vote qui donna, par 14 voix, la victoire aux royalistes, il se passa un fait qui montra bien l’état d’esprit de cette assemblée invraisemblable.

Quand, le 7 novembre, on en vint à élire la commission obtenue de haute lutte par le parti monarchiste, il se trouva que la gauche eut un plus grand nombre de membres élus que la droite conservatrice. Rémusat, qui faisait partie du centre gauche et dont le républicanisme n’était plus douteux pour personne, fut élu président de la commission, dans laquelle entrait en même temps Léon Say, chef du centre gauche. Si bien que la gauche, qui craignait la nomination de cette commission spéciale et avait insisté pour que la proposition Changarnier fût renvoyée devant la commission générale des projets constitutionnels (où d’ailleurs la droite prédominait toujours), remporta une victoire inattendue. Quant à la droite, qui avait voulu s’assurer un succès, pour elle indubitable, elle était battue par ses propres armes.

Tout le monde se demande ce que peut signifier un vote aussi extraordinaire. Pour nous la réponse est assez simple. L’Assemblée ne sait plus où elle en est, et les partis manœuvrent à l’aveuglette. Après le renversement des projets monarchistes, les chefs de l’ancienne coalition royaliste ont perdu leurs états-majors et une portion de leurs troupes. La proposition Changarnier a, de plus, tout embrouillé. L’extrême-droite a estimé que, bien que </div