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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

réflexion nous sommes moins enthousiaste. Est-il si certain que le prince renonce à ses prétentions à la couronne ? Cette lettre qui semble au premier abord un refus si net de monter sur le trône, renferme des passages pleins d’allusions à de tout autres desseins… J’aurai même presque envie de croire que jamais le comte de Chambord ne s’est vu si près de ceindre la couronne.

Il est, plus que jamais, convaincu qu’il est indispensable à la France et que si son avènement est un peu ajourné, ce n’en est que plus avantageux pour lui et pour la royauté. On sera bien forcé de l’accepter à la fin, quand on le reconnaîtra pour le seul sauveur possible, et alors qui s’avisera de lui poser des conditions ? Il reviendra avec tous ses « principes ». Il continue à croire à la puissance de son parti dans l’Assemblée Nationale. Il affirme qu’il aime la France, mais il est très évident qu’il ne pense guère à elle ou qu’il la confond avec son parti. Sa lettre est encore caractéristique sous ce rapport qu’au moment où il refuse le trône, il ne cache pas les moyens de gouvernement dont il compte se servir le cas échéant. Ces moyens sont tout simplement la sévérité et l’emploi de la force si le besoin s’en fait sentir. Nous nous doutions bien un peu qu’il n’en saurait trouver d’autres.

Enfin cette lettre nous fait connaître les idées singulières que, de si loin, de son Salzbourg, il se fait de ces Français si fiers de leur liberté et de leur égalité. Ils liront avec étonnement qu’il y a quelque part un homme qui leur permet gracieusement de le choisir pour leur sauveur. C’est presque dommage de troubler cette sereine tranquillité, cette naïve audace, cet « aveuglement de naissance. »

Et voilà l’homme qui prétend sauver la France !

Cette lettre produisit tout d’abord, dans le parti, un effet effroyable. Presque toutes les fractions de la Droite éprouvèrent une véritable fureur. Mais l’entente se rétablit bientôt, plutôt par la force des choses que grâce à l’habileté des chefs.

Pendant que les républicains, et Thiers à leur tête, triomphaient de ce qu’ils considéraient comme une vic-