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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

possible, appellent à leur secours n’importe quel gouvernement « fort » ? C’était déjà la peur des ennemis d’en bas qui avait décidé les conservateurs à accepter Napoléon III. S’ils tombent d’accord pour réclamer la venue du comte de Chambord, n’est-ce pas parce qu’ils espèrent trouver en lui un protecteur ? Mais où leur champion trouvera-t-il des hommes pour les défendre dans une lutte si formidable ? Est-il même capable de comprendre la situation vraie ? Non, assurément, malgré cette « bonté de cœur » que l’on célèbre sur tous les tons. Ne sera-t-il pas intimidé par la pauvreté des moyens dont il disposera pour agir ? S’il n’en est pas effrayé, comment ne pas reconnaître en lui un pauvre homme ignorant, borné, ou peut-être un candidat à la folie ? Où est-elle, à présent, la réponse à notre question ? À l’aide de quoi, de quelles forces, la Légitimité parviendra-t-elle à « sauver » la France ? Un prophète de Dieu n’en viendra pas à bout ; bien moins encore le comte de Chambord. Et le prophète lui-même serait lapidé.

L’esprit moderne, l’esprit de la société nouvelle triomphera très probablement parce que, seul, il apporte une idée nouvelle, positive, destinée sans doute plus tard à transformer l’Europe. Nous croyons que le monde ne sera sauvé qu’après la visite du « mauvais esprit ». Et ce mauvais esprit est bien près de nous. Nos enfants le verront peut-être à l’œuvre.

En nous posant le problème que nous avons essayé de résoudre selon nos forces, nous ne voulions que justifier deux lignes d’un précédent compte rendu de politique étrangère. Nous pensons plus que jamais que si le comte de Chambord monte sur le trône, ce sera pour deux jours. Mais ne voulant pas être accusé de légèreté, nous avons tenté de démontrer non seulement que la Royauté légitime est à présent impossible en France, mais encore qu’elle n’y pourrait produire aucun effet utile, aussi bien aujourd’hui que dans le futur. C’est la forme de gouvernement qui possède le moins de moyens pratiques pour guérir la France.

Quant à la République, nous avons dit aussi ailleurs qu’on est déjà « las » d’elle, et nous tâcherons ultérieure-