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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Voyons ! les légitimistes sensés qui n’agissent pas à tort et à travers ou qui ne sont par poussés par un espoir de places et de dotations, ou encore sourdement influencés par les cléricaux, voyons ! ces légitimistes-là doivent avoir un plan ; ils ne peuvent pas croire à un fabuleux consentement universel aussi inattendu que s’il tombait des nuages ! Il faut savoir quel est ce plan. Car il n’est pas suffisant d’entrer en France, de s’asseoir sur un trône entouré des « baïonnettes obéissantes » de Mac-Mahon et de croire que l’on règne. Il est indispensable de faire quelque chose, d’apporter avec soi quelque idée nouvelle, de dire quelque parole inspirée, capable de vaincre le « mauvais esprit » de tout un siècle. Remarquez que ce mauvais esprit s’est formulé en une doctrine prometteuse de grands biens, qu’il s’est condensé en une sorte d’évangile anti-chrétien qui a trouvé des prosélytes passionnés, qu’il propose à la société de nouveaux principes moraux, qu’il se fait fort de reconstruire le monde sur de nouvelles bases, de réédifier pour jamais la tour de Babel.

Parmi les sectateurs de cette nouvelle religion se trouvent des hommes d’une haute intelligence ; ils ont pris une grande autorité sur ceux qui sont las d’attendre le règne du Christ, qui sont déshérités des biens terrestres ; et ceux-là se comptent par millions. Eh bien ! il faudrait que le comte de Chambord dise quelque chose à ces gens-là ; ou alors à quoi servirait sa venue ? « Quels sont les résultats jusqu’à présent certains de son avènement au trône ? On peut prévoir que le faubourg Saint-Germain ne sera plus désert et qu’on va remettre à neuf ses vieilles façades ; que les prêtres redeviendront riches, que les grâces des vicomtes et des marquises vont ressusciter. Nous assisterons à l’éclosion de quelques nouvelles modes et de quelques bons mots inédits ; on inventera quelque nouvelle chinoiserie pour l’étiquette de la cour, chinoiserie promptement adoptée par toutes les cours européennes ; on découvrira de nouvelles figures de ballet, des danses de salon insoupçonnées, de nouveaux bonbons, de nouveaux cuisiniers.

Dans la très petite Chambre des députés, à laquelle on concédera un très petit pouvoir, surgiront, d’un côté, de