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riche corbillard, triomphalement, les pieds devant, se rendait dans le logement le plus commode du monde. Une longue file de moines écrasaient sous leurs lourdes bottes des branches de sapin jetées sur le sol qui répandaient une odeur de goudron dans toute la rue. Un chapeau à plumet, posé sur le cercueil, annonçait aux passants le grade du dignitaire. Ses décorations, placées sur des coussins, suivaient. Près du corbillard sanglotait un colonel, déjà tout blanc, inconsolable, probablement le gendre du défunt, peut-être son cousin. Dans la longue file de voitures on apercevait, comme d’habitude, des visages endeuillés, on entendait les potins qui ne meurent jamais, et les enfants riaient gaiement dans leurs crêpes blancs. J’avais du dépit, de l’angoisse ; et je saluais, d’un air profondément offensé, l’amabilité d’un cheval, aux quatre pieds ankylosés, qui était tranquillement dans son rang et, ayant depuis longtemps avalé la dernière touffe de foin volée à une télègue voisine, se décidait à faire une plaisanterie, c’est-à-dire à choisir le passant le plus affairé (pour lequel, probablement il m’avait pris), de le saisir légèrement par le col ou la manche et ensuite, comme si rien n’était arrivé, de lui montrer sa gueule vertueuse et barbue. Pauvre rosse ! Je suis rentré à la maison. Je me suis préparé à écrire mon feuilleton ; mais, je ne sais comment, j’ai ouvert la revue et me suis mis à lire une nouvelle. Dans cette nouvelle [1], on décrit une famille de Moscou, de la classe moyenne. On y parle aussi de l’amour. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je n’aime pas les histoires

  1. Sboev, nouvelle de Neoustroiev.