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qu’un mois. Et cet homme vivra toute sa vie dans l’aisance et le bonheur. Je fus saisis d’envie. Ce jour était si sale, si morose. Je marchais rue Siennaia.

Mais, messieurs, je suis feuilletoniste et je dois vous parler des nouvelles les plus fraîches ; je dois vous dire par exemple que Jenny Lind [1] part pour Londres. Mais qu’est-ce que c’est que Jenny Lind pour un lecteur de Pétersbourg ? il a bien d’autres chats à fouetter ! Alors, voilà, je marchais rue Siennaia me demandant sur quel sujet je pourrais bien écrire. L’ennui me rongeait. C’était un matin humide et brumeux. Pétersbourg se levait méchant et hargneux comme une vieille fille mondaine, verte et jaune de dépit à cause du bal de la veille. Il était en colère des pieds à la tête. Avait-il mal dormi ? Une grande quantité de bile s’était-elle répandue en lui ? Avait-il, la veille, perdu beaucoup aux cartes, comme un galopin, à tel point que, le matin, ses poches étaient complètement vides ? Était-ce pour quelque autre raison ? C’est difficile à dire, en tout cas, il était fâché. C’était triste de voir ces énormes murs humides, ces marbres, ces bas-reliefs, ces statues, ces colonnes, qui avaient aussi l’air de s’irriter contre le mauvais temps, qui tremblaient et claquaient des dents. Tous les horizons pétersbourgeois avaient l’air tristes et mornes. Pétersbourg était fâché. C’était une heure de l’après-midi ; il faisait tout à fait noir.

À ce moment, un cortège funèbre vint à passer. Aussitôt, en ma qualité de feuilletoniste je me suis rappelé que la grippe et le typhus sont des questions pétersbourgeoises presque d’actualité. C’étaient des obsèques magnifiques. Le héros du cortège, en un

  1. Célèbre cantatrice suédoise.