Selon moi, s’il faut tout dire, il est même inconvenant de le faire pendant la jeunesse, c’est-à-dire avant trente-cinq ans. Mais quand l’homme approche de la soixantaine, quand il est assagi, quand, physiquement et moralement, il a déjà atteint la perfection, oh, alors, c’est bien, vraiment bien. Et penser : voici un homme qui a vécu longtemps et qui, enfin, a atteint son but ! Aussi fus-je tout à fait étonné lorsque, ces jours derniers, un soir, je vis Julian Mastakovitch arpenter son bureau, les mains derrière le dos, l’air défait et triste. C’est aujourd’hui seulement que j’en ai compris la raison. Je ne voulais même pas en parler, c’est une circonstance sans intérêt, banale, qu’il ne faut même pas prendre en considération devant des gens bien-pensants. – Rue Gorokhovaia, au quatrième sur la rue, est un appartement qu’autrefois d’ailleurs j’avais voulu louer. Actuellement cet appartement est habité par une veuve jeune et agréable, qui a l’air très engageant. Or Julian Mastakovitch était soucieux parce qu’il se demandait comment il ferait, une fois marié, pour aller le soir, comme d’habitude, peut-être un peu plus rarement, chez Sophie Ivanovna, afin de s’entretenir avec elle de son procès ? Il y a deux ans déjà, Sophie Ivanovna a présenté une requête au tribunal et son mandataire est Julian Mastakovitch, qui a si bon cœur. C’est pourquoi de telles rides creusaientson front sérieux. Mais enfin, il mit son gilet blanc, prit le bouquet et les bonbons et, l’air joyeux, alla chez Glafira Petrovna. Voilà un homme heureux ! pensai-je, me rappelant Julian Mastakovitch. Déjà avancé en âge, il rencontre une compagne qui le comprend, une jeune fille de dix-sept ans, innocente, instruite, sortie du pensionnat il n’y a
Page:Dostoïevski - Inédits.djvu/244
Cette page n’a pas encore été corrigée