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Elle était comme égarée. J’entendis du bruit dans l’antichambre : il me sembla que Mavra se disputait avec quelqu’un.

— Chut, Natacha ! Quelqu’un vient. Écoute !

Un sourire incrédule se dessina sur son visage, qui devint d’une pâleur de mort. Elle écouta.

— Grand Dieu ! Qui est-ce ? dit-elle d’une voix faible. Elle voulut me retenir, mais je me précipitai dans l’antichambre. J’avais deviné ! C’était Aliocha ! Il parlementait avec Mavra, qui d’abord ne voulait pas le laisser entrer.

— D’où est-ce que nous sortons ? lui demandait-elle. Où avons-nous rôdé ? Va, va ! tu ne m’amadoueras pas, moi ! Entre donc ! nous allons voir ce que tu as à répondre.

— Je n’ai peur de personne, répartit Aliocha, passablement embarrassé.

— Eh bien, va ! tu es joliment leste.

— Certainement que j’irai. Ah ! vous voilà aussi, fit-il en m’apercevant ; comme ça se rencontre bien ! maintenant comment vais-je faire ?…

— Entrez tout simplement, lui dis-je ; que craignez-vous ?

— Rien, je vous assure ; car, ma foi, ce n’est pas ma faute. Vous ne croyez pas ? Vous verrez. Natacha ! puis-je entrer ? demanda-t-il avec une assurance affectée en s’arrêtant devant la porte.

Personne ne répondit.

— Qu’est-ce donc ? demanda-t-il avec inquiétude.

— Mais rien, répondis-je, elle était là tout à l’heure ; serait-il arrivé…

Il ouvrit doucement la porte et jeta un regard discret dans la chambre. Il n’aperçut pas d’abord Natacha, qui, plus morte que vive, semblait s’être cachée dans une encoignure entre l’armoire et la fenêtre. Il s’approcha d’elle et la salua d’une voix timide et en la regardant avec inquiétude.

Elle était affreusement troublée ; on aurait dit que c’était elle qui était la vraie coupable.

— Natacha ! écoute, dit-il éperdu. Tu crois sans doute que je suis coupable… Non, je ne le suis pas ; tu vas voir, je vais te raconter…