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là ce qui me tourmente, Vania ; aide-moi, ne peux-tu rien me conseiller ?

— C’est bien difficile ; tu connais bien son caractère. Voilà cinq jours qu’il n’est pas venu : supposons qu’il t’a définitivement quittée ; tu n’as qu’à lui écrire que tu ne veux plus de lui, et tu le verras accourir sur-le-champ.

— Pourquoi le hais-tu, Vania ?

— Moi !

— Oui, toi, toi ! Tu le hais ! tu ne saurais parler de lui qu’avec un sentiment de haine, de vengeance, et je t’ai vu mille fois trouver un plaisir extrême à le noircir, oui, à le noircir !

— Tu me l’as répété mille fois, Natacha ; parlons d’autre chose.

— Je voudrais bien déménager d’ici, reprit-elle après un moment de silence. Vania, ne sois pas fâché.

— Je ne suis pas fâché. À quoi te servirait de déménager ? Il saurait bien te trouver.

— Qui sait ? l’amour est puissant : son nouvel amour peut le retenir. S’il revient à moi, ce ne sera que pour un instant. Qu’en penses-tu ?

— Je n’en sais rien, Natacha : en lui tout est inexplicable : il veut épouser l’autre et continuer de t’aimer ; je ne sais comment il accorde cela.

— Si j’étais sûre qu’il l’aime, je me déciderais… Vania ! ne me cache rien. Tu sais peut-être quelque chose que tu ne dis pas, ajouta-t-elle en me jetant un regard inquiet et scrutateur.

— Absolument rien, chère amie, je te jure : j’ai toujours été franc envers toi. Du reste, il n’est peut-être pas aussi amoureux de la belle-fille de la comtesse que nous le pensons. Ce n’est qu’un entraînement passager, peut-être.

— Vraiment ! Mon Dieu ! si je pouvais le savoir positivement ! Oh ! que je voudrais le voir en ce moment, rien qu’une minute ! Je lirais tout sur son visage. Et il ne vient pas ! il ne vient pas !

— Est-ce que tu l’attendrais, Natacha ?

— Non, il est chez elle, je le sais, j’ai envoyé aux infor-