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longtemps éteint en m’attendant. Elle sourit et me tendit la main en silence ; son visage pâli exprimait la maladie, et son sourire était tendre et résigné. Ses yeux bleus et sereins me parurent plus grands qu’à l’ordinaire, ses cheveux plus épais ; sans doute l’effet de la pâleur et de la maladie.

— J’ai cru que tu ne viendrais pas, dit-elle ; j’allais envoyer Mavra pour savoir si tu n’étais pas malade.

— Non, je ne suis pas malade, j’ai été retenu, je te dirai cela après. Qu’y a-t-il de nouveau ?

— Rien, répondit-elle en feignant la surprise. Pourquoi cette question ?

— Parce que tu m’as écrit de venir juste à l’heure indiquée.

— Ah ! oui, c’est que je pensais qu’il viendrait.

— Comment ! il n’est toujours pas venu ?

— Non, et je me disais que s’il ne venait pas, il me faudrait te consulter, ajouta-t-elle après un moment de silence.

— Et tu l’attendais ce soir ?

— Non, je ne l’attendais pas ; le soir, il est là-bas.

— Penses-tu qu’il ne viendra plus ?

— Non, je suis sûre qu’il reviendra, répondit-elle, en me regardant avec un sérieux tout particulier.

La rapidité avec laquelle mes questions se succédaient lui déplaisait. Nous gardâmes un moment le silence, tout en continuant d’aller et venir par la chambre.

— Je suis là depuis longtemps à t’attendre, reprit-elle en souriant de nouveau, et sais-tu ce que je faisais ? Je me promenais en récitant des vers… Et elle se mit à dire une poésie pleine de tristesse et de mélancolie.

— Cher Vania… reprit-elle après quelques minutes de silence ; mais elle s’arrêta tout à coup, comme si elle avait oublié ce qu’elle voulait dire ou qu’elle n’eût rien à dire.

Nous continuions notre promenade. Je remarquai qu’elle avait allumé la lampe suspendue devant l’image, quoique nous ne fussions pas à la veille d’une fête. Depuis quelque temps, elle donnait dans la dévotion.

— Mais assieds-toi, Vania, tu dois être fatigué. Veux-tu du thé ?

— Merci, j’en ai déjà pris.