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cadeaux à Natacha, qui avait en vain protesté, réprimandé, pleuré même. Il se délectait une semaine d’avance à l’idée d’un présent à lui porter et à l’accueil qu’elle lui ferait, c’était pour lui une véritable fête ; aussi les réprimandes et les larmes de Natacha le jetaient dans une tristesse et un abattement qui faisaient peine à voir ; par la suite ils eurent de ce chef des scènes de reproches de toutes sortes, de chagrins et de querelles. Aliocha dépensait en outre beaucoup à l’insu de Natacha : il se laissait entraîner par d’anciens camarades d’études, il la trompait, allait voir une Joséphine ou une Bertha quelconque. Cependant il l’aimait toujours beaucoup ; son amour pour elle tenait du tourment : souvent il venait me voir triste et chagrin ; il me disait qu’il ne valait pas le petit doigt de Natacha, qu’il était grossier et méchant, incapable de la comprendre et indigne de son amour.

Il me confessait en pleurant ses escapades, me suppliait de n’en rien dire à Natacha et me priait de l’accompagner chez elle, m’assurant qu’il n’oserait pas la regarder après tous ses forfaits, si je n’étais pas avec lui. Du premier regard Natacha voyait de quoi il s’agissait. Elle était affreusement jalouse, et pourtant, chose difficile à expliquer, elle lui pardonnait toujours toutes ses fredaines. Voici comment les choses allaient ordinairement ; Aliocha parlait avec timidité et la regardait d’un air tendre. Elle devinait aussitôt qu’il était coupable ; mais elle n’en laissait rien paraître, ne lui adressait aucune question, mais redoublait de caresse et devenait plus tendre ; ce n’était point là un jeu ou une ruse étudiée, non ! pour cette belle âme, pardonner était une jouissance infinie : elle semblait trouver un charme particulier, raffiné, dans le procès même du pardon. Il est vrai qu’il ne s’agissait encore alors que d’une Joséphine quelconque.

En la voyant douce et clémente, Aliocha n’y tenait plus et commençait aussitôt sa confession, sans être interrogé, uniquement pour se soulager le cœur, pour « être comme avant », selon son expression. Quand elle avait pardonné, ses transports ne connaissaient plus de bornes, il pleurait d’attendrissement, la prenait dans ses bras et la couvrait de bai-