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Ce n’est pas Matriona ; elle me l’aurait rendu ; elle m’est dévouée corps et âme… (Matriona ! apporteras-tu bientôt la bouilloire ?) Alors je me dis : Si c’est lui qui l’a trouvé, qu’arrivera-t-il ? Et je suis là à me chagriner, à pleurer, pleurer sans pouvoir arrêter mes larmes. Lui, il est affable, caressant ; il me regarde tristement comme s’il savait pourquoi je pleure, comme si je lui faisais pitié. C’est lui qui aura trouvé le médaillon, il l’aura anéanti : il en est bien capable quand il est en colère, et maintenant il en a du regret. J’en ai pleuré toute la nuit. Cela présage certainement quelque malheur ! Je ne fais que pleurer, et je t’attendais, mon cher, mon bon ami, comme un ange du bon Dieu, pour me soulager au moins un peu le cœur.

Et elle se mit à sangloter.

— Ah ! oui, j’oubliais encore de te demander quelque chose ; t’a-t-il dit qu’il voulait adopter une petite fille ?

— Oui, il m’en a parlé, il m’a dit que c’était décidé entre vous.

— Je n’y songe même pas, mon ami, non ! elle ne ferait que me rappeler notre malheur. Hors ma Natacha, je ne veux personne. Je n’ai eu qu’une fille, je n’en aurai pas d’autre. D’où lui vient cette idée ? Il pense peut-être que cela me consolera ; c’est parce qu’il me voit pleurer ; ou bien veut-il chasser entièrement son enfant de son souvenir en s’attachant à une autre ? T’a-t-il parlé de moi ? L’as-tu trouvé sombre, fâché ?… Chut ! le voici… Tu me diras, après… et surtout n’oublie pas de venir demain…

XIII

Ikhméniew entra. Il nous jeta un regard scrutateur et s’assit.

— Et le samovar ? demanda-t-il ; pourquoi ne l’apporte-t-on pas ?

— On va l’apporter, mon ami, on va l’apporter, se hâta de répondre Anna Andréievna.