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tesse, réplique le prince, du calme : tu as mangé ta fortune et tu es criblée de dettes. Si ta belle-fille épouse Aliocha, ils feront un couple des mieux assortis : c’est une innocente, et le mien est un grand benêt : nous les prenons sous notre direction, nous les tenons sous notre tutelle, et tu ne manqueras pas d’argent. Mais à quoi te servirait de m’épouser ? C’est un malin, un franc-maçon. Il y a six mois, la comtesse ne voulait pas ; à présent, on dit qu’ils ont fait ensemble un voyage à Varsovie et qu’ils sont d’accord. Voilà ce que je tiens de bonne source.

Ce récit était entièrement conforme à tout ce qu’Aliocha m’avait raconté, tout en jurant ses grands dieux que jamais il ne ferait un mariage d’argent. Cependant les qualités de Catherine Féodorovna l’avaient séduit. Il savait encore par lui que, bien qu’il démentit, afin de ne pas irriter la comtesse avant le temps, les bruits de mariage qui circulaient sur son compte, le prince avait vraiment l’intention de se marier. Aliocha chérissait son père et croyait en lui comme en un oracle.

— Elle n’est pas comtesse, tu sais, ta charmante ! reprit la bonne femme encore exaspérée des quelques mots d’éloge que j’avais dits sur la future fiancée. Natacha serait un meilleur parti pour lui ; elle est noble, d’ancienne noblesse, tandis que l’autre est fille d’un fermier des eaux-de-vie ! Hier au soir (j’ai oublié de te le dire), mon vieux a ouvert le coffre dans lequel il serre ses papiers, et il a passé sa soirée à ranger nos vieux parchemins. Il était là assis tout sérieux ; moi, je tricotais et n’osais pas le regarder : il s’aperçoit que je ne dis rien, et le voilà qui se fâche, il m’appelle et se met à m’expliquer notre généalogie ; eh bien ! la noblesse des Ikhméniew date du règne d’Ivan le Terrible, et les Choumilow étaient déjà connus du temps d’Alexis Mikhaïlovitch : nous avons tous les documents, et Karamsine en fait mention dans son histoire. Tu vois, mon cher ami, que sous ce rapport on en vaut bien d’autres. Je n’ai d’abord pas compris ce qu’il avait dans l’idée en m’expliquant cela : il est probablement blessé de leur mépris pour Natacha. Ils n’ont d’autre avantage sur nous que leur richesse. Eh bien ! que ce