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en retard et n’aurais peut-être pas le temps d’aller chez Natacha.

— Voilà qui est très-bien, dit-il tranquillisé par ma réponse, c’est très-bien… et puis il se tut, pensif.

— Oui, c’est très-bien, répéta-t-il machinalement au bout de quelques minutes, comme se réveillant d’une profonde rêverie. Hem !… vois-tu, Vania, tu a toujours été pour nous comme un fils, Dieu ne nous a pas accordé de fils… mais il t’a envoyé à nous : j’ai toujours pensé ainsi, et ma vieille compagne aussi… oui ! Et tu as toujours été respectueux et tendre comme un fils bon et reconnaissant. Que Dieu t’en récompense par ses bénédictions, Vania, qu’il te bénisse comme nous deux vieux, nous te bénissons et nous t’aimons !…

Sa voix tremblait ; il se tut une minute.

— As-tu été malade ? Pourquoi es-tu resté si longtemps sans venir nous voir ?

Je lui racontai l’histoire de Smith, en m’excusant sur ce que cette affaire m’avait retenu ; j’ajoutai que j’avais manqué faire une maladie, et que tous les tracas que j’avais eus m’avaient empêché d’aller jusqu’à Vassili-Ostrow (c’est dans ce quartier qu’il demeurait). Je fus sur le point de laisser échapper que j’avais, malgré tout cela, trouvé l’occasion d’aller voir Natacha ; heureusement je m’arrêtai à temps.

L’histoire de Smith l’intéressa vivement, il suivit mon récit avec attention. Lorsqu’il apprit que mon nouveau logis était humide, plus mauvais peut-être encore que l’ancien, et qu’il coûtait six roubles par mois, il s’échauffa. Il était devenu excessivement impatient et emporté. Sa femme seule pouvait le calmer dans ces moments, et encore n’y parvenait-elle pas toujours.

— Hem !… c’est toujours ta littérature, Vania, s’écria-t-il avec irritation : elle t’a mené au galetas et elle te conduira au cimetière ! Je te l’ai déjà dit, je te l’ai prédit… Et B… fait-il toujours de la critique ?

— Il est mort de la phthisie ; je croyais vous l’avoir déjà dit.

— Il est mort ! Hem… il est mort ! Oui, ce devait être ainsi. A-t-il laissé quelque chose à sa femme et à ses