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enrouée et faible comme si elle avait eu la poitrine ou la gorge malade.

Ma frayeur mystique s’évanouit à cette question. On venait demander Smith ; ses traces apparaissaient tout à coup de cette manière inattendue.

— Ton grand-papa ! mais il est mort, dis-je brusquement, sans réfléchir à ma réponse, que je regrettai aussitôt.

Elle resta à peu près une minute dans sa première position et se mit tout à coup à trembler si fort que je crus qu’elle allait avoir une attaque de nerfs ; je me hâtai de la soutenir pour l’empêcher de tomber. Au bout de quelques minutes, elle se trouva mieux, quoiqu’il fût visible qu’elle faisait des efforts surhumains pour maîtriser son émotion.

— Pardonne-moi, pardonne-moi, ma petite-fille, pardonne-moi, mon enfant, lui dis-je ; je te l’ai annoncé ainsi brusquement, ce n’est peut-être pas lui… pauvre petite !… qui cherches-tu ? le vieillard qui demeurait ici ?

— Oui, murmura-t-elle avec peine, en me regardant tout anxieuse.

— S’appelait-il Smith ?

— Oui !

— Alors c’est lui !… oui, il est mort… Mais ne pleure pas, mon enfant. Pourquoi n’es-tu pas venue plus tôt ? D’où viens-tu à présent ? On l’a enterré hier ; il est mort tout à coup, subitement… tu es sa petite-fille ?

Elle ne répondait pas à mes questions rapides et sans ordre ; elle se retourna sans rien dire et sortit doucement de la chambre. J’étais si abasourdi que je ne fis rien pour la retenir. Elle s’arrêta encore une fois sur le seuil et, à moitié tournée de mon côté, elle demanda :

— Azor est-il aussi mort ?

— Oui, il est mort aussi, répondis-je, surpris de l’étrangeté de la question. On aurait dit qu’elle était persuadée qu’Azor devait nécessairement mourir en même temps que le vieillard. Elle sortit de la chambre et forma la porte sur elle.

Une minute après, je me mis à sa poursuite, très-fâché de l’avoir laissée partir. Elle était sortie si doucement que je ne l’avais pas entendue ouvrir la porte qui donnait sur