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vieillard depuis cette nouvelle injure, et tout à coup, tout cela, toutes ces accusations se trouveront justifiées ! Tous ceux qui ont connaissance de la chose vont maintenant excuser le prince pour t’accuser, toi et ton père ! Que deviendra-t-il ? Il en mourra ! C’est la honte, l’infamie, et de qui vient le coup ? De toi, de sa fille, de son unique, de sa précieuse enfant ! Et ta mère ? Crois-tu qu’elle survive au vieillard ? Natacha, Natacha ! que fais-tu ? reviens à toi ! retournons.

Elle se tut. Je lus une douleur si intense, une si grande souffrance dans son regard, que je compris, même en faisant complète abstraction de ce que je venais de lui dire, combien son cœur saignait. Je compris ce que lui avait coûté la résolution qu’elle avait prise et combien je venais de la torturer, de la déchirer par mes inutiles et tardives représentations ; pourtant je ne pus m’empêcher de poursuivre.

— Il y a un instant, tu disais à ta mère que, peut-être, tu ne sortirais pas, que tu n’irais pas à l’église. Tu avais donc le désir de rester, tu n’étais pas entièrement décidée ?

Elle sourit avec amertume. Pourquoi lui demandais-je cela ? Je pouvais bien voir que c’était irrévocablement résolu. Je ne me possédais plus.

— L’aimes-tu si fort ? m’écriai-je le cœur plein d’effroi et sans comprendre ma question.

— Que veux-tu que je te réponde, Vania ? tu le vois : il m’a dit de venir, et je suis venue et l’attends.

— Mais écoute, au moins, recommençai-je en me rattrapant à une paille ; tout peut encore se réparer, s’arranger autrement, tout autrement. Rien ne te force à quitter la maison, je te dirai comment il faut faire, ma Natacha chérie. Je vous arrangerai tout, tout, et des rendez-vous et… tout. Mais ne déserte pas la maison ! Je vous ferai parvenir vos lettres, pourquoi ne le ferais-je pas ? Cela vaudra mieux que ce que tu veux faire à présent. Je saurai tout arranger, vous serez contents ; lu verras… Du moins tu ne te perdras pas, chère Natacha, car… tu te perds, tu te perds sans espoir ! Veux-tu, Natacha, tout ira bien et heureusement, et vous vous aimerez tant que vous voudrez. Et quand