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— Natacha ! ma chère enfant, ma chère petite fille ! ma fille bien-aimée ! qu’as-tu donc ? s’écria-t-il enfin, en laissant couler ses larmes. Quel chagrin as-tu ? Pourquoi pleures-tu jour et nuit ? car, je m’en aperçois bien, je ne dors pas non plus et je t’entends bien. Dis-moi tout, Natacha. Confie tes chagrins à ton vieux père, et nous… Il n’acheva pas, il la prit et la serra dans ses bras. Elle se pressa convulsivement sur la poitrine du vieillard en cachant sa tête sur son épaule.

— Ce n’est rien, ce n’est rien ; seulement, je suis un peu indisposée, dit-elle étouffée par les larmes qu’elle retenait.

— Que Dieu te donne sa bénédiction comme je te donne la mienne, ma chère, ma précieuse enfant ! dit le père. Qu’il t’envoie désormais la paix de l’âme et te garde de tout mal. Prie Dieu, ma chérie, afin que ma prière de pécheur arrive jusqu’à lui.

— Et que ma bénédiction t’accompagne, ajouta la mère en fondant en larmes.

— Adieu ! murmura Natacha d’une voix faible.

Arrivée à la porte, elle s’arrêta, les regarda encore une fois, sembla vouloir dire quelque chose, mais n’en trouva pas la force, et sortit rapidement de la chambre. Je me précipitai après elle, avec le pressentiment de quelque malheur.

VIII

Elle marchait en silence, rapidement, la tête baissée et sans me regarder. Mais arrivée au bout de la rue, sur le quai de la Neva, elle s’arrêta tout à coup et me prit par la main.

— J’étouffe, dit-elle, j’étouffe !…

— Retournons à la maison, Natacha, m’écriai-je tout effrayé.

— Est-ce que tu ne vois pas que je m’enfuis pour ne pas revenir ? dit-elle en me regardant avec une angoisse inexprimable.