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De quoi s’agit-il ?

— De ta canaille de prince. Voilà quinze jours que je suis furieux contre lui.

—Comment ? as-tu encore des relations avec lui ?

— Te voilà tout de suite avec tes « Comment ? » Ne dirait-on pas qu’il est arrivé Dieu sait quoi ? Tu es exactement comme mon Alexandra Séménovna et en général comme toute cette insupportable engeance de femmes… toujours prêtes à causer comme des corbeaux…

— Inutile de te fâcher.

— Je ne me fâche pas ; mais il faut regarder chaque chose sous son véritable point de vue ; il ne faut pas tout grossir, voilà !

Il se tut un instant, comme s’il avait été irrité contre moi. J’attendis sans rien dire.

— Vois-tu, mon vieux, reprit-il, je suis tombé sur une piste… ou plutôt je ne suis pas tombé sur une piste si l’on veut, puisqu’il n’y en a pas ; mais il m’a semblé… c’est-à-dire que je tire de différentes considérations la conclusion que Nelly… est peut-être… bref ! qu’elle est fille légitime du prince.

— Que dis-tu ?

— Bien ! te voilà de nouveau à brailler : « Que dis-tu ? » Pas moyen de parler à pareilles gens. T’ai-je rien dit de positif ? Évaporé ! t’ai-je dit qu’il fût prouvé qu’elle était fille légitime du prince ? Oui ou non ?…

— Écoute, mon cher, lui dis-je en l’interrompant au moment où il était le plus animé, au nom du ciel, explique- toi plus clairement et ne crie pas. Je saurai te comprendre ; mais comprends aussi à quel point la chose est importante et quelles conséquences…

— Des conséquences ! et de quoi ? Où sont les preuves ? Ce n’est pas ainsi qu’on traite les affaires, mon vieux, et c’est sous le sceau du secret que je te parle en ce moment. Je t’expliquerai plus tard pourquoi je mets cette question sur le tapis. Il fallait que ce fût ainsi. Fais-moi le plaisir de te taire, d’écouter, et surtout de la discrétion… Voici de quoi il s’agit : Pendant l’hiver, avant la mort de Smith, le prince, à peine de retour de Varsovie, avait entamé cette affaire ; il