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on ne parlait jamais, ouvertement du moins, d’Alexandra Séménovna, et Masloboïew ne faisait jamais allusion à elle. Anna Andréievna, sachant qu’elle n’avait pas encore eu le temps de devenir épouse légitime, avait décidé à part soi qu’il était impossible de la recevoir et de parler d’elle, et il en était résulté, sans explication aucune, une sorte de convention que tout le monde observait, elle la première. Du reste, si Natacha n’eût pas été là et si ce qui avait eu lieu ne fût pas arrivé, il est bien possible qu’elle aurait été moins difficile.

Nelly semblait particulièrement triste et préoccupée ; on aurait dit qu’elle avait fait un rêve pénible et qu’elle continuait d’y penser : cependant le bouquet de Masloboïew lui avait causé une vive joie, et elle regardait avec un vrai délice les fleurs qu’on avait mises dans un vase devant elle.

— Aimes-tu beaucoup les fleurs, Nelly ? demanda le vieillard. Attends, ajouta-t-il avec animation ; demain… je… tu verras !

— Je les aime beaucoup, répondit Nelly, et je me souviens d’une surprise que nous avons faite à maman. Lorsque nous demeurions encore là-bas (là-bas signifiait à l’étranger), maman avait été plusieurs semaines malade. Henri et moi, nous avions décidé de garnir les chambres de fleurs la première fois qu’elle se lèverait. Un soir, elle nous dit qu’elle déjeunerait avec nous le lendemain. Nous nous levâmes de grand matin ; Henri alla chercher une grande quantité de fleurs, et nous nous mîmes à garnir la chambre de feuillage et de guirlandes. Il y avait du lierre, puis une autre plante à larges feuilles dont j’ai oublié le nom ; des fleurs blanches, des narcisses, ma fleur de prédilection, et des roses, des roses magnifiques ; enfin beaucoup, beaucoup de fleurs. Nous nous mîmes à les suspendre en guirlandes, à les disposer dans des pots ; il y avait des plantes qui étaient comme de vrais arbres, dans des caisses ; Henri les plaça dans les coins de la chambre et auprès du fauteuil, et quand maman entra, elle fut extrêmement surprise, et cela lui fit beaucoup de plaisir ; Henri aussi était très-content…