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petites menottes roses, n’est-ce pas, Annette ? Tu t’es assise sur mes genoux, et tu m’as entouré de tes petits bras… Et tu as pu penser, méchante petite fille ! tu as pu croire que je t’aurais maudite, que je te repousserais… Natacha ! Que de fois j’ai été près de toi, à l’insu de ta mère et de tout le monde ! Tantôt je me tenais sous ta fenêtre à attendre des heures entières devant la maison ! Je pensais que peut-être tu sortirais et que je pourrais te voir de loin ! Et le soir, souvent une lumière brillait à ta fenêtre : que de fois je suis allé pour voir au moins ta fenêtre éclairée, pour voir passer ton ombre sur le rideau, et pour te bénir avant ton sommeil ! Et toi, me nommais-tu dans ta prière ? Pensais-tu à moi ? Ton petit cœur sentait-il que j’étais là tout près, sous ta fenêtre ? Et que de fois, l’hiver, la nuit venue, que de fois j’ai monté ton escalier et je suis resté dans l’obscurité, écoutant à ta porte, si je n’entendrais pas ta petite voix chérie ou ton rire argentin ! Je t’aurais maudite, moi ! Et le soir où j’ai rencontré Vania, c’est chez toi que j’allais, ce n’est qu’arrivé devant ta porte que j’ai rebroussé chemin, ô ma Natacha !… Ma Natacha ! Il se leva, la prit dans ses bras et la serra bien fort sur son sein.

— Je l’ai de nouveau sur mon cœur ! s’écria-t-il. Merci, ô mon Dieu ! je te rends grâces pour tout ce que tu as fait, pour ton courroux et pour ta clémence ! pour ton soleil qui brille sur nous après l’orage ! Je te rends grâces pour ce moment de bonheur ! Oh ! qu’on nous humilie, qu’on nous offense ! nous sommes de nouveau réunis ! Que les orgueilleux, les arrogants qui nous ont offensés, qui nous ont humiliés, triomphent ! qu’ils nous jettent des pierres ! Ne crains rien, ma Natacha ! nous irons la main dans la main, et je leur dirai : C’est ma fille, ma fille bien-aimée, que vous avez offensée et humiliée, mais que j’aime, moi, que j’aime et que je bénis à jamais !…

— Vania !… Vania !… dît Natacha d’une voix faible en me tendant la main pendant que son père continuait de la tenir embrassée.

Oh ! jamais je n’oublierai qu’elle se souvint de moi en ce moment !

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