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Anna Andréievna regardait son mari avec une perplexité excessive. Soudain l’indignation brilla dans les yeux de la bonne vieille jusqu’alors douce et pleine d’effroi, Elle prit Nelly par la main et la fit asseoir sur ses genoux.

— Continue, mon petit ange, dit-elle ; viens, je t’écouterai, moi… Que ceux dont le cœur est dur et cruel…

Les larmes l’empêchèrent d’achever. Nelly m’interrogea du regard, car dans sa frayeur elle ne savait ce qu’elle devait faire. Le vieillard me regarda et haussa les épaules.

— Continue, dis-je à Nelly.

— Je restai trois jours sans aller chez grand-papa, dit-elle en reprenant son récit ; maman était plus mal, nous n’avions pas d’argent pour acheter de la médecine, et nous n’avions rien mangé, car les gens chez qui nous demeurions n’avaient rien non plus et nous reprochaient de vivre à leurs dépens. Le matin du troisième jour, je me levai et m’habillai ; maman me demanda où je voulais aller, et je lui répondis : Chez grand-papa, lui demander de l’argent. Elle se réjouit beaucoup, car j’avais dit que je ne voulais plus aller chez lui, malgré qu’elle pleurât et fit son possible pour me persuader d’y retourner. J’allai, et ayant appris qu’il avait déménagé, je cherchai sa nouvelle demeure. Quand il me vit, il se leva brusquement et s’avança en frappant du pied ; sans perdre un instant, je lui dis : « Maman est très-malade, il faut cinquante kopecks pour la médecine, et nous n’avons rien à manger. » Il se mit à crier, me poussa dehors et ferma sa porte au verrou, Mais je lui criai que je resterais devant la porte, assise sur l’escalier, et que je ne m’en irais pas ayant qu’il m’eût donné de l’argent. Au bout d’un moment, il ouvrit, me vit et referma la porte. Il se passa ensuite beaucoup de temps, il ouvrit de nouveau et me retrouva toujours là : il s’enferma encore. Cela se répéta beaucoup de fois. Enfin, il sortit avec Azor, ferma sa porte, passa à côté de moi et partit sans me rien dire. Je ne lui parlai pas non plus et continuai de rester assise sur l’escalier. Cela dura jusqu’à la nuit.

— Ma douce petite colombe, s’écria Anna Andréievna, il devait faire bien froid dans l’escalier.

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