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jours où, après avoir beaucoup parlé, il se taisait tout à coup et restait immobile, comme s’il eût été endormi, quoiqu’il eut les yeux ouverts ; il restait ainsi jusqu’à ce qu’il fît nuit, et alors il se levait effrayant, si vieux, si vieux… D’autres jours je le trouvais assis dans son fauteuil, réfléchissant et n’entendant rien, Azor couché à ses pieds. J’attendais, j’attendais, je toussais : il ne me jetait pas un regard, et je m’en allais. Quand j’arrivais auprès de maman qui m’attendait, je me mettais près de son lit, je lui racontais ce qui avait eu lieu, et la nuit venait que nous étions encore, moi à raconter et elle à écouter ce que je lui disais de grand-papa : ce qu’il avait fait ce jour-là, quelles histoires il m’avait racontées et quelle leçon il m’avait donné à apprendre. Je lui parlais d’Azor, je lui disais qu’il faisait des tours et que grand-papa riait ; alors elle était toute joyeuse, elle riait aussi et me faisait recommencer, puis elle se mettait à prier Dieu.

Je me disais constamment : D’où vient que maman aime tant grand-papa et que lui ne l’aime pas ? et la fois suivante je lui dis que maman l’aimait beaucoup. Il m’écouta jusqu’au bout, mais il était tout fâché ; quand je vis qu’il se taisait, je lui demandai comment il se faisait que maman l’aimait tant, qu’elle demandait chaque jour de ses nouvelles, tandis que lui ne s’informait jamais d’elle. Il se mit en colère et me chassa ; je restai un moment derrière la porte, il ouvrit tout à coup et me rappela ; il était toujours fâché et ne disait mot.

Un moment après, nous lûmes ensemble le Nouveau Testament, et je lui demandai pourquoi, puisque Jésus-Christ avait dit que nous devions nous aimer les uns les autres et nous pardonner les uns aux autres, il ne voulait pas, lui, pardonner à maman. Il se leva brusquement, criant que c’était elle qui m’avait appris cela ; il me poussa dehors une seconde fois et me défendit de revenir. Je lui répondis que moi-même je ne voulais plus remettre le pied chez lui, et je m’en allai… Le lendemain, il avait quitté son logement…

— J’avais bien dit que la pluie ne durerait pas longtemps, dit Nicolas Serguievitch en se tournant vers moi ; regarde, Vania, voilà de nouveau le soleil.