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maman n’avait pas du tout d’argent, et que les maîtres du logement où nous demeurions nous nourrissaient par pitié. Il ne répondit rien, mais il me conduisit au marché, m’acheta des souliers qu’il me fit mettre, et puis il m’emmena chez lui ; en route, il entra dans une boutique et m’acheta un gâteau et des bonbons, et quand nous fûmes arrivés, il me dit de les manger et me regarda faire. Azor mit sa patte sur la table pour me demander du gâteau, je lui en donnai. Cela amusa grand-papa, qui m’attira à lui, me pressa la main sur la tête et me demanda si j’avais appris quelque chose. Je lui dis ce que je savais, et il me commanda de venir chez lui tous les jours, à trois heures, prendre des leçons de lui.

Puis il m’ordonna de me tourner du côté de la fenêtre et de ne pas regarder en arrière jusqu’à ce qu’il me le dit. Je me tins comme il avait ordonné ; mais je tournai tout doucement la tête, et je vis qu’il décousait un coin de son oreiller et en retirait de l’argent. Il me donna quatre roubles en disant : « C’est pour toi seule. » Je les pris d’abord, mais après avoir réfléchi un peu je lui dis : « Si c’est pour moi seule, je ne les prendrai pas. » Il se fâcha et me dit : « Prends-les comme tu voudras et va-t’en », et il me laissa partir sans m’avoir embrassée.

Maman allait toujours plus mal ; un étudiant qui venait quelquefois chez le fabricant de cercueils la soignait et lui prescrivait des médecines.

Sur l’ordre de maman, je commençai à aller voir plus souvent grand-papa. Il m’avait acheté un Nouveau Testament et un livre de géographie, et me les faisait apprendre ; il me donnait des explications sur les différents pays et leurs habitants, sur les mers, sur les temps anciens, comment Jésus-Christ a pardonné aux hommes. Il était très-content lorsque je lui faisais quelque question ; il me racontait toutes sortes de choses et me parlait beaucoup du bon Dieu. Il y avait des jours où il ne me faisait pas étudier, et alors je jouais avec Azor, qui m’avait pris en amitié. Je le faisais sauter par-dessus un bâton, et grand-papa riait et me faisait des caresses. Mais il riait rarement : il avait des