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pas. La pluie n’avait pas cessé : maman prit froid et fut de nouveau obligée de garder le lit.

Le huitième jour, grand-papa revint : il m’acheta de nouveau un poisson et une pomme, et comme les autres fois il ne me dit pas un mot. Quand il m’eut quittée, je le suivis tout doucement ; je voulais savoir où il demeurait pour le dire à maman. J’allais derrière lui, de l’autre côté de la rue, et il ne s’en aperçut pas. Il demeurait très-loin, non pas dans la maison où il a demeuré depuis, mais dans une autre rue, aussi dans une grande maison, au quatrième. Il était tard lorsque j’arrivai à la maison ; maman, qui ne savait pas ce que j’étais devenue, était très-inquiète. Quand je lui eus raconté ce que j’avais fait elle fut bien contente, et dit qu’elle irait chez grand-papa le lendemain matin ; mais le lendemain matin elle réfléchit, réfléchit et eut peur d’y aller ; cela dura trois jours ; à la fin elle renonça à cette idée, elle m’appela et me dit : Nelly, je suis trop malade pour aller chez grand-papa ; mais je lui ai écrit ; va lui porter cette lettre. Tu le regarderas pendant qu’il la lira, tu remarqueras bien ce qu’il dira et ce qu’il fera : ensuite tu te mettras à genoux devant lui et tu lui demanderas de pardonner à ta mère… Elle pleurait en me faisant ces recommandations ; elle me fit agenouiller auprès d’elle devant l’image, pria Dieu et fit le signe de la croix sur mon front ; malgré qu’elle fût malade, elle voulut m’accompagner jusque dans la rue et me suivit longtemps des yeux.

Je trouvai la porte ouverte. Grand-papa était assis à sa table et mangeait un morceau de pain sec. Azor le regardait manger en agitant la queue. Les fenêtres de sa chambre d’alors étaient toutes petites ; pour meubles il n’y avait qu’une table et une chaise. Quand il me vit, il fut effrayé et se mit à trembler de tous ses membres. J’eus peur aussi, et, sans dire un mot, je m’approchai de la table et je mis ma lettre dessus. Il ne ne l’eut pas plus tôt vue qu’il entra en colère ; il se leva brusquement, saisit son bâton et le leva au-dessus de ma tête ; mais il ne me battit pas. Il me conduisit sur le palier et me poussa dehors. Je n’avais pas encore eu le temps de descendre les premières marches de l’escalier qu’il rouvrit