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sans doute il allait prendre des informations, et j’en fus j encore plus effrayée : je ne dis rien à maman pour ne pas ’ la rendre de nouveau malade.

Le lendemain, je dis que j’avais mal à la tête pour n’avoir pas besoin d’aller à la boutique ; le surlendemain, je courus à toutes jambes, et je ne rencontrai personne. Le quatrième jour, comme je tournais le coin de la rue, je vis grand-papa devant moi, et Azor avec lui. Je m’enfuis dans une ruelle et j’entrai dans la boutique par la porte de derrière ; mais, au moment où je sortais, je me heurtai de nouveau à lui, et cette fois je fus si effrayée que je m’arrêtai, incapable de faire un pas. Grand-papa resta de nouveau longtemps à me regarder, puis il me passa la main sur la tête pour me caresser, et me prenant par la main, il m’emmena avec lui ; Azor nous suivait en agitant la queue. Je m’aperçus alors que grand-papa marchait tout courbé, en s’appuyant tout le temps sur son bâton, et que ses mains tremblaient. Il me conduisit à l’étalage d’un marchand en plein vent et m’acheta un coq et un poisson en pain d’épice, quelques bonbons et une pomme ; quand il ouvrit son porte-monnaie, ses mains tremblaient si fort qu’il laissa tomber une pièce de cinq kopecks ; je la ramassai et la lui présentai. Il m’en fit cadeau, et après m’avoir donné ce qu’il m’avait acheté, il passa sa main sur mes cheveux et s’éloigna sans m’avoir rien dit cette fois non plus.

Je racontai à maman ce qui venait de m’arriver ; elle ne voulut d’abord pas me croire ; puis elle se réjouit beaucoup et me fit différentes questions ; elle m’embrassait, pleurait, et lorsque j’eus fini de raconter, elle me dit que je ne devais plus avoir peur de lui, qu’il avait commencé à me prendre en affection et que sans doute il était venu tout exprès pour me voir ; enfin, elle me recommanda d’être gentille et caressante envers lui.

Le lendemain fut un jour de pluie. Maman m’envoya plusieurs fois pendant la matinée, quoique je lui eusse dit que grand-papa ne venait que sur le soir ; elle me suivait de loin et se tenait cachée derrière l’angle d’une maison ; il en fut de même le jour suivant ; mais grand-papa ne vint