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Quand maman put quitter le lit et un peu se promener dans la chambre, elle se mit à me parler d’Azor.

La petite s’arrêta. Ikhméniew sembla éprouver une sorte de soulagement de ce que la conversation passait sur Azor.

— Qu’est-ce qu’elle te dit d’Azor ? demanda-t-il en se courbant sur son fauteuil, comme s’il eût voulu cacher son visage.

— Pendant qu’elle était malade, même dans le délire, elle ne cessait de me parler de grand-papa ; quand elle commença d’aller mieux, elle se mit à me raconter sa vie d’autrefois… et c’est alors qu’elle me parla d’Azor ; elle l’avait acheté un jour à des enfants qui allaient le jeter dans la rivière ; maman leur donna de l’argent et prit le chien. Grand-papa le trouva drôle et rit beaucoup quand il le vit. Quelque temps après, Azor s’enfuit, et maman pleura tant que grand-papa en fut effrayé et promit cent roubles de récompense à celui qui le retrouverait. Le troisième jour on le ramena, grand-papa donna les cent roubles ; Azor avait appartenu à des comédiens ambulants qui lui avaient appris à faire le beau, à porter un singe sur le dos ; il faisait l’exercice avec un fusil, et savait encore beaucoup d’autres choses… Lorsque maman s’en alla de chez grand-papa, Azor resta avec lui, et il l’emmenait toujours quand il sortait, et lorsque maman l’aperçut dans la rue, elle pensa aussitôt que grand-papa devait aussi être là…

Ikhméniew, qui avait sans doute compté sur Azor pour faire diversion, était retombé dans son mutisme.

— Et depuis lors, n’as-tu pas revu ton grand-père ? demanda Anna Andréievna.

— Oh ! si. Lorsque maman commença à aller mieux, je le rencontrai une seconde fois. J’allai acheter du pain ; tout à coup j’aperçus Azor, je regardai l’homme qu’il suivait et je reconnus grand-papa. Je me serrai contre le mur pour le laisser passer ; il me regarda longtemps, longtemps, j’eus peur de lui ; il passa à côté de moi et s’en alla. Azor me reconnut et se mit à sauter autour de moi et me lécha les mains. Je courus à la maison, et en me retournant je vis grand-papa qui entrait dans la boutique. Je me dis que