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C’était la première fois que je le voyais. Il fut aussi effrayé que maman quand il la vit à genoux devant lui ; il la repoussa, frappa de sa canne les dalles du trottoir et s’éloigna avec précipitation. Azor continuait d’aboyer et de lécher les mains et le visage de maman ; puis il courut après grand-papa, et le tira par le pan de son habit pour le foire revenir sur ses pas ; grand-papa lui donna un coup avec sa canne. Azor revint encore une rois, mais grand-papa l’appela, et il partit en aboyant et en hurlant. Maman était tombée, je crus qu’elle était morte, la foule s’était rassemblée autour de nous, et des sergents de ville arrivèrent. Ils m’aidèrent à la relever, et quand elle fut debout, elle regarda autour d’elle et me laissa l’emmener à la maison ; la foule nous regarda partir, et quelques-uns s’en allaient en branlant la tête…

Nelly s’arrêta pour respirer. Elle était pâle comme un linge ; mais il y avait quelque chose de résolu dans son regard ; on voyait qu’elle était décidée à aller jusqu’au bout, à tout dire, et son visage avait pris une expression de défi.

— Il n’y a rien d’étonnant à cela, grommela Nicolas Serguiévitch d’une voix sourde et irritée ; ta maman l’avait cruellement offensé, il était en droit de…

— C’est aussi ce que me disait maman, répliqua vivement Nelly ; pendant que nous retournions à la maison, elle me disait : Nelly ! c’est ton grand-papa, j’ai de grands torts envers lui ; il m’a maudite, et à présent Dieu me punit. Toute la soirée et les jours suivants elle ne fit que me répéter cela, et lorsqu’elle parlait, on aurait dit qu’elle n’avait plus son bon sens…

— Avez-vous alors changé de logement ? demanda Anna Andréievna, en s’essuyant les yeux.

— Pendant la nuit, maman fut très-malade ; la veuve du capitaine trouva à nous loger chez la Boubnov ; le surlendemain nous déménagions tous les trois, maman resta trois semaines au lit, et c’est moi qui la soignais. Comme nous n’avions pas du tout d’argent, la veuve du capitaine nous aidait, et Ivan Alexandrovitch aussi.

— C’est le fabricant de cercueils, dis-je en guise d’explication.

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