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son ennemi. Il le sait… Nelly ! Viens la sauver ! Veux-tu ?….

— Oui, répondit-elle. Sa respiration était pénible, et elle me regardait d’un regard étrange, fixe et pénétrant, qui, je le sentis, contenait un reproche.

Je la pris par la main, et nous sortîmes. Il était deux heures de l’après-midi, le temps était couvert ; l’atmosphère était chaude et lourde. On entendait au loin les premiers grondements du tonnerre du printemps, et le vent soulevait la poussière des rues.

Nous montâmes en fiacre. Nelly garda le silence tout le long du chemin ; elle me regardait de temps en temps de ce même regard étrange et scrutateur. Sa poitrine était agitée, et j’entendais son petit cœur qui battait si fort qu’on aurait dit qu’il voulait s’échapper.


VII

Les Ikhméniew étaient seuls comme d’habitude ; le mari, agité et malade, était à demi couché sur un lit de repos, un mouchoir attaché autour du front. Sa compagne, assise auprès de lui, lui mouillait les tempes avec du vinaigre ; son regard anxieux et plein de souffrance ne le quittait pas un instant, et le vieillard, que cette sollicitude semblait inquiéter et ennuyer, se renfermait dans le silence le plus opiniâtre. Notre arrivée leur causa une vive surprise : Anna Andréievna parut même effrayée, comme si elle s’était tout à coup sentie prise en faute.

— Je vous amène ma Nelly, dis-je en entrant. Elle s’est ravisée : elle désire rester dans votre maison. Je vous demande de l’accueillir et de l’aimer…

Ikhméniew me jeta un regard méfiant ; je devinai qu’il -était au courant de tout ce qui s’était passé, et qu’il savait Natacha seule, abandonnée, délaissée, insultée peut-être.

Il nous regardait tour à tour d’un œil scrutateur, cherchant à pénétrer le secret motif de notre arrivée. Nelly tremblante