Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/321

Cette page n’a pas encore été corrigée

une heure après, le père était déjà chez Natacha, il l’a insultée et l’a menacée de la faire mettre en prison, il a ri et s’est moqué d’elle. Me comprends-tu, Nelly ?

Ses yeux noirs étincelèrent ; mais presque aussitôt elle baissa la tête.

— Je comprends, dit-elle si bas que je l’entendis à peine.

— Natacha est seule et malade ; je l’ai laissée avec notre docteur, et je suis accouru auprès de toi. Viens, Nelly ! nous irons chez le père de Natacha : tu ne l’aimes pas, tu as refusé d’aller dans sa maison ; mais nous irons ensemble. Nous entrerons, et je lui dirai que tu consens à leur tenir lieu de fille. Le vieillard est malade, parce qu’il a maudit Natacha et parce que le père d’Aliocha l’a mortellement offensé. Il ne veut pas entendre parler de sa fille, et pourtant il l’aime, et il voudrait se réconcilier avec elle, je le sais, j’en suis sûr !… M’écoutes-tu, Nelly ?

— Oui, j’écoute, répondit-elle toujours à voix basse.

Pendant que je parlais, je ne pouvais retenir mes larmes.

— Crois-tu que ce que je te dis est vrai ?

— Oui.

— Eh bien ! je te conduirai chez eux, tu seras bien reçue ; ils te caresseront et t’adresseront des questions. Je ferai alors tourner la conversation de manière qu’ils t’interrogent sur ta vie passée, sur ta mère, sur ton grand-père. Tu leur raconteras tout, comme tu me l’as raconté, simplement et sans rien cacher. Tu leur raconteras comment ta mère a été abandonnée par un homme méchant, comment elle est morte dans le sous-sol de la maison Boubnow, comment vous alliez ensemble, ta mère et toi, par les rues demandant l’aumône, ce qu’elle te disait, ce qu’elle t’a demandé de faire alors qu’elle se mourait… Tu parleras .aussi de ton grand-père ; tu diras qu’il n’a pas voulu par donner à ta mère et comment elle t’a envoyée chez lui à l’heure de la mort, afin qu’il vint lui pardonner, comment il a refusé… et comment elle est morte. Tu leur diras tout cela. Et à mesure que tu le raconteras, le vieillard le ressentira dans son cœur. Il sait que sa fille est seule, humiliée et offensée sans secours, sans défense, en butte aux insultes de