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chez lui jusque vers les deux heures : je l’aurais bientôt amené ; je conjurai Mavra de ne pas quitter sa maîtresse une seconde, et je partis en toute hâte. Dieu me vint en aide ! un instant plus tard je n’aurais plus trouvé mon vieux docteur ; je le rencontrai à la porte, je le fis monter dans mon fiacre, et il n’avait pas eu le temps de se reconnaître que nous avions déjà fait la moitié du chemin.

Oui ! Dieu m’était venu en aide ! Pendant la demi-heure qu’avait duré mon absence, il s’était passé chez Natacha un événement si extraordinaire qu’il aurait pu achever de la tuer si nous avions tardé d’arriver.

Un instant après mon départ, le prince entrait chez elle ; il revenait tout droit de la gare. C’était sans doute une visite décidée d’avance et mûrement réfléchie. Natacha me raconta plus tard que, dans l’état d’agitation où elle se trouvait, l’arrivée du prince ne lui avait causé aucune surprise. Il s’était assis vis-à-vis d’elle et s’était mis à la regarder, d’un air affable et compatissant.

— Chère amie, lui avait-il dit en soupirant, je comprends votre douleur, je savais combien ce moment serait pénible ; aussi ai-je considéré comme un devoir de venir auprès de vous. Consolez-vous autant qu’il est possible par la pensée qu’en renonçant à Aliocha vous aurez fait son bonheur. Mais vous le savez mieux que moi, puisque vous vous êtes décidée de vous-même à ce généreux sacrifice…

Natacha écoutait sans comprendre et le regardait avec de grands yeux ; il lui avait pris la main et semblait éprouver un certain plaisir à la serrer dans la sienne. Natacha était dans un état d’insensibilité si grande qu’il ne lui vint pas même l’idée de la retirer.

— Vous avez compris, continua-t-il, que si Aliocha vous avait épousée, il aurait pu en venir plus tard à vous haïr ; vous avez eu assez de noble fierté pour vous l’avouer et pour prendre une résolution héroïque… mais je ne suis pas venu vous faire votre éloge. Je suis venu vous déclarer que vous n’aurez jamais de meilleur ami que moi. Je compatis à votre douleur, je vous plains. Ce n’est qu’à regret que je me suis mêlé de cette affaire ; j’ai fait mon devoir. Votre excellent