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Je remontai chez Natacha le désespoir dans l’âme. Elle était debout au milieu de la chambre, les bras croisés ; ses yeux hagards semblaient ne pas me reconnaître ; ses cheveux s’étaient dénoués, son regard était farouche ; Mavra se tenait sur le seuil, folle de frayeur.

— Ah ! C’est toi ! c’est toi ! s’écria tout à coup Natacha. Te voilà maintenant resté seul ! Tu le haïssais ! Tu n’avais jamais pu lui pardonner mon amour !… Que viens-tu faire auprès de moi ? Viens-tu me consoler ? m’exhorter à retourner chez mon père qui m’a abandonnée et maudite ? Je m’y attendais, je le savais… il y a longtemps ! Je ne veux pas retourner ! non ! non !… Mol aussi, je les maudis ! Va-t’en ? ... Te voir est un supplice… Va-t’en ! Va-t’en !

Dans l’état de surexcitation où elle se trouvait, ma vue la mettait hors d’elle : le mieux était de m’éloigner. Je m’assis sur la dernière marche de l’escalier et j’attendis. De temps en temps j’entr’ouvrais la porte pour interroger Mavra, qui ne faisait que pleurer.

Je restai ainsi plus d’une heure en proie au plus violent chagrin. Tout à coup la porte s’ouvrit, et Natacha se précipita dans l’escalier. Elle avait l’air d’une folle. Elle avait mis son chapeau et son manteau, elle me dit plus tard qu’elle ne savait ni où elle voulait aller ni dans quel dessein.

Je n’eus pas le temps de me lever et de me dérober à sa vue, elle m’aperçut et s’arrêta comme foudroyée devant moi. Je me souvins tout à coup, me disait-elle plus tard, que j’avais pu, dans un accès de folie, te chasser, toi mon ami, mon frère, mon sauveur ! Et lorsque je te vis, pauvre ami que je venais d’offenser si cruellement, assis sur l’escalier, devant ma porte, attendant le moment où je te rappellerais ! Grand Dieu ! si tu savais ce que je ressentis alors : il me sembla qu’on m’enfonçait un poignard dans le cœur !

— Vania ! Vania ! s’écria-t-elle en tendant ses bras vers moi. C’est toi !… et elle perdit connaissance.

Je me précipitai pour la soutenir, et je la portai dans la chambre. Lorsque je vis qu’elle ne reprenait pas ses sens, craignant qu’elle ne fut sérieusement malade, je résolus d’aller chercher mon vieux docteur, qui était ordinairement