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Moscou, ce qui ne prend qu’une journée, tu reviens immédiatement me rejoindre, et dans huit jours nous nous disons adieu pour un mois.

— Oui, oui… vous pourrez ainsi passer encore quelques jours ensemble, s’écria triomphalement Katia en échangeant avec Natacha un regard d’intelligence.

Impossible de dépeindre l’enchantement d’Aliocha à cette proposition inattendue. Il se sentit tout à coup soulagé ; le visage radieux, il se jeta au cou de Natacha, couvrit de baisers les mains de Katia, m’embrassa… Natacha le regardait avec un amer sourire ; mais Katia ne put supporter cette vue ; en proie à la plus violente émotion, elle serra Natacha dans ses bras et se leva pour s’en aller. En ce moment, le domestique vint annoncer de la part de la dame de compagnie que le temps convenu était écoulé.

Natacha se leva, et elles restèrent un instant debout vis-à-vis l’une de l’autre, se tenant par la main ; on aurait dit qu’elles voulaient se communiquer par leurs regards tous les sentiments qui remplissaient leur âme.

— Nous ne nous reverrons jamais, dit Katia.

— Jamais ! répéta Natacha.

Elles s’embrassèrent.

— Ne me maudissez pas, dit tout bas Katia, et moi… toujours… soyez-en sûre… il sera heureux… Viens, Aliocha, accompagne-moi ! ajouta-t-elle en prenant son bras.

— Vania ! me dit Natacha, brisée par l’émotion quand ils furent sortis ; va avec elle, et… ne remonte pas. Aliocha sera avec moi jusqu’à huit heures ; puis je resterai seule… Reviens à neuf heures, je t’en prie !

Lorsqu’à neuf heures (après l’histoire de la tasse cassée) j’eus laissé Nelly avec Alexandra Séménovna et que j’arrivai chez Natacha, elle était seule et m’attendait avec impatience. Le thé était servi, elle m’en versa une tasse et me fit asseoir auprès d’elle.

— Maintenant, tout est fini, dit-elle en fixant sur moi un regard que je n’oublierai jamais. Notre amour a pris fin. En six mois toute une vie ! ajouta-t-elle en serrant ma main dans sa main brûlante.