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en montant l’escalier. C’était un espionnage continuel. Il m’a fallu quinze jours pour gagner madame Albert. Pourquoi n’êtes-vous pas venu me voir ? Je n’ai pu vous écrire : d’ailleurs, que peut-on expliquer dans une lettre ? Ah ! que j’aurais eu besoin de vous voir !… Mon Dieu ! vous ne sauriez, croire comme le cœur me bat en ce moment.

— L’escalier est très-roide, lui dis-je.

— Oui… l’escalier y est aussi pour quelque chose… mais dites-moi, croyez-vous que Natacha ne sera pas fâchée contre moi ?

— Pourquoi le serait-elle ?

— C’est vrai !… pourquoi ?… je vais d’ailleurs le voir moi-même ; à quoi bon vous le demander ?…

Son bras tremblait. Nous nous arrêtâmes pour reprendre haleine avant de nous engager dans la dernière rampe, puis elle me regarda et se mit résolument à monter.

Elle s’arrêta encore une fois devant la porte et me dit en chuchotant : J’entrerai tout simplement et je lui dirai que j’ai eu tant de confiance en elle que je suis venue sans aucune appréhension… Au surplus, à quoi bon tant causer ? comme si je ne savais pas que Natacha est la plus noble des créatures humaines ! N’est-ce pas vrai ?

Elle entra, timide comme une coupable, et leva les yeux sur Natacha, qui l’accueillit en souriant. Elle s’avança alors vivement vers elle, la prit par la main et pressa ses lèvres potelées sur celles de Natacha. Puis elle se tourna vers Aliocha et le pria de nous laisser seuls pendant une demi-heure.

— Il ne faut pas que cela te fâche, Aliocha, ajouta-t-elle ; nous avons à nous entretenir de choses que tu ne dois pas entendre. Sois raisonnable et laisse-nous. Quant à vous, Ivan Pétrovitch, il faut que vous assistiez à notre entretien, je vous prie de rester.

— Asseyons-nous, dit-elle à Natacha aussitôt qu’Aliocha se fut éloigné ; je me mettrai ainsi, en face de vous, afin de commencer par vous bien regarder.

Elle s’assit vis-à-vis de Natacha et la regarda fixement. Natacha s’efforçait de sourire.

— J’ai déjà vu une photographie de vous, reprit-elle.

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