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et aussitôt après il avait saisi son chapeau et sa canne, et s’était précipité hors de la maison.

La lettre était du prince. Il avisait Ikhméniew d’un ton sec, bref et poli, qu’il n’avait à rendre compte à personne des paroles qu’il avait dites, que bien qu’il plaignit beaucoup Ikhméniew d’avoir perdu son procès, il ne pouvait, à son grand regret, trouver juste que celui qui perdait sa cause eût le droit, pour se venger, de forcer son adversaire à se battre. Quant à ce qui était d’une insulte publique, le prince conseillait à Ikhméniew de s’épargner cette peine, vu qu’il n’y aurait et ne pouvait y avoir aucune insulte de ce genre, que la lettre dans laquelle on le menaçait allait être immédiatement présentée à qui de droit, et que la police préventive saurait prendre les mesures qu’il faudrait, Ikhméniew avait alors couru, sa lettre à la main, chez le prince, ne l’avait de nouveau pas trouvé. Le laquais lui ayant dit qu’il était probablement en ce moment chez le comte N., Ikhméniew sans réfléchir longtemps s’y était rendu. Le suisse lui avait barré le passage. Furieux, exaspéré, le vieillard l’avait frappé de sa canne et avait été aussitôt saisi, traîné sur le perron et remis à un sergent de ville, qui l’avait conduit chez le commissaire de police. La chose avait immédiatement été rapportée au comte, et lorsque le prince, qui se trouvait justement là en ce moment, eut expliqué qu’il s’agissait précisément du père de la jeune fille dont il lui avait déjà parlé (le prince avait plus d’une fois rendu au comte des services d’un certain genre), le vieux seigneur s’était mis à rire, et passant du courroux à la clémence, il avait ordonné de rendre au prisonnier sa liberté ; on ne l’avait pourtant relâché que le troisième jour, en lui disant (sur la recommandation du prince sans doute) que c’était lui qui avait intercédé en sa faveur. Quand le vieillard était rentré chez lui, il était comme fou ; il s’était jeté sur sont lit et était resté couché toute une heure sans faire le moindre mouvement ; à la fin il s’était levé, et, à la plus grande épouvante d’Anna Andréievna, il avait déclaré solennellement qu’il maudissait sa fille et la privait à jamais de sa bénédiction paternelle. Anna Andréievna, saisie d’effroi, et sachant à peine ce