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Le jour de la séparation arriva ; Natacha était malade. Pâle, le regard enflammé et les lèvres brûlées par la fièvre, elle pensait tout haut, me jetait de temps à autre un regard rapide et pénétrant ; ses yeux étaient secs, elle ne répondait pas à mes questions et elle se mit à trembler comme la feuille lorsqu’elle entendit la voix sonore d’Aliocha. Elle s’élança au-devant de lui, rouge d’émotion, le serra convulsivement sur sa poitrine, l’embrassa, se mit à rire… Aliocha la regardait fixement, s’informait de sa santé, la consolait, lui disait qu’il ne partait que pour peu de temps, et que leur mariage aurait lieu aussitôt après son retour. Natacha faisait des efforts inouïs pour se vaincre et pour étouffer ses larmes ; elle ne pleura pas en sa présence.

Son père lui avait promis une somme considérable pour le voyage, et il lui dit qu’elle pouvait être sans inquiétude – pour le temps que durerait son absence. Le visage de Natacha s’était assombri à cette communication, et lorsque nous fûmes seuls, je lui annonçai que j’avais cent cinquante roubles pour elle. Elle ne demanda pas d’où venait cet argent. Cela se passait deux jours avant le départ d’Aliocha et la veille de la première et dernière entrevue qu’elle devait avoir avec Katia. Celle-ci lui avait envoyé par Aliocha quelques lignes pour lui demander la permission de venir la voir, et m’avait écrit pour me prier d’assister à l’entrevue. Je résolus de m’y rendre, malgré les obstacles ou les embarras qui pourraient se présenter, — et embarras et obstacles ne manquaient pas. Sans parler de Nelly, les Ikhméniew me donnaient beaucoup de soucis depuis une huitaine de jours. Un matin, Anna Andréievna m’avait envoyé chercher, me suppliant de tout quitter et de me rendre en toute hâte auprès d’elle, pour une chose de la plus haute importance et qui ne souffrait pas le moindre retard. Je la trouvai plus émue et plus épouvantée que jamais, attendant dans la plus grande anxiété le retour de son mari. Quoique chaque instant fût précieux, je fus, comme à l’ordinaire, assez longtemps avant de savoir de quoi il s’agissait. Elle me reprocha d’abord de les délaisser dans leur malheur, et me dit enfin que Nicolas Serguiévitch était depuis trois jours