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gnation, d’autant plus que le jeune homme était extrêmement attaché à son père, qu’il n’avait presque pas connu pendant son enfance et son adolescence, mais dont il ne parlait qu’avec transport et auquel il était entièrement soumis.

Aliocha parlait aussi parfois d’une comtesse, de rivalité entre son père et lui : il paraît que le fils avait été vainqueur dans cette lutte, ce qui avait furieusement fâché son père ; Aliocha racontait cette histoire avec animation, avec une gentillesse enfantine, un rire sonore et joyeux ; mais Ikhméniew l’interrompait dès les premiers mots. Aliocha confirma la nouvelle des projets de mariage de son père.

Il avait déjà passé environ un an en exil, écrivait de temps à autre à son père des lettres respectueuses et raisonnables, et s’était à la fin si bien acclimaté à Vassilievskoé que, lorsqu’au printemps le prince arriva lui-même pour affaires, ce dont il avait prévenu Ikhméniew, le proscrit le supplia de lui permettre de rester encore le plus longtemps possible, assurant qu’il se sentait une véritable vocation pour la vie de campagne.

Toutes les actions, tous les entraînements d’Aliocha provenaient de son impressionnabilité excessive et nerveuse, de son cœur bouillant, de sa légèreté, qui allait quelquefois jusqu’à l’absurde ; d’une disposition extraordinaire à subir toute influence extérieure et d’une absence complète de volonté.

Le prince accueillit la demande de son fils avec quelque défiance...

Ikhméniew avait peine à reconnaître son ancien ami : le prince était complètement changé. Il était tout à coup devenu chicaneur, et dans l’examen des comptes il se montra dégoûtamment avide, avare et méfiant. Cela chagrina fort l’excellent Ikhméniew, qui d’abord n’y croyait pas. Cependant tout allait au rebours de ce qui avait eu lieu la fois précédente, quatorze ans auparavant : il fit connaissance avec tous ses voisins, les plus importants, bien entendu, et ne mit pas les pieds chez Ikhméniew, qu’il traita comme un inférieur.

Tout à coup survint un événement inconcevable : sans la